CDF-Mag : Le 12 novembre 2020, cette décision de l’AC a fait l’effet d’une bombe, touchant toute la profession. Est-ce que vous vous y attendiez ?
M. Sabek : Tout le Bureau confédéral est mobilisé et se bat sur ce dossier, depuis 2015, successivement sous la présidence de Catherine Mojaïsky puis de Thierry Soulié. L’étude des documents, les échanges sur les mémoires et les directives données à notre avocat ont été menés collégialement par un groupe d’élus nationaux, maîtrisant parfaitement le sujet. Les méthodes d’investigations et les premières conclusions nous avaient alertés sur les risques, mais la sévérité de la sanction nous a surpris, car nous n’avions rien à nous reprocher.
CDF-Mag : Pourquoi depuis 2015 ?
M. S : En avril 2015, nous avons saisi l’Autorité de la concurrence contre les pratiques de Santéclair au même moment où celle-ci attaquait l’Ordre et la FSDL devant cette même autorité. Mais les témoignages présentés par nos confrères ont été jugés insuffisants pour prouver l’interférence de Santéclair avec la libre concurrence, ainsi que l’impact désastreux sur l’économie des cabinets dentaires. L’AC a rejeté notre plainte en 2016 et, tout en instruisant les plaintes contre l’Ordre et la FSDL, elle a décidé d’élargir ses investigations à l’ensemble des « acteurs du marché dentaire ». Nous avons donc été inclus dans le dossier alors qu’aucune plainte n’a été présentée contre nous. Les inspecteurs de l’AC sont venus dans nos locaux et, à notre grande surprise, ont saisi tous nos documents de communication interne et externe sur les 5 précédentes années.
CDF-Mag : Que reproche l’AC aux CDF, à l’époque CNSD ?
M. S. : L’AC a jugé que nous avons « entravé l’activité de ces réseaux par [nos] pratiques » ! D’abord notre « Manifeste du chirurgien-dentiste » de 2014 où chaque praticien était invité à exprimer librement son opinion sur plusieurs problématiques qui touchent directement sa profession. Or pour nous, c’est l’expression d’une opinion syndicale telle qu’elle est garantie constitutionnellement. Ensuite, on nous reproche d’avoir diffusé en 2015-2016, dans nos cabinets, auprès de nos patients, un flyer comportant une indication en caractère gras, rappelant au patient qu’il est libre de choisir son praticien (« Gardez cette liberté, choisissez votre praticien et la qualité de votre prestation »), sans aucune indication susceptible d’interférer ou d’orienter son choix. Il nous est également reproché d’avoir mis sur pied un « Observatoire des réseaux de soins » qui a recueilli les témoignages de chirurgiens-dentistes permettant de démontrer les pratiques de détournement et la collusion entre les réseaux plateformes et les centres low-cost. L’IGAS est arrivée aux mêmes conclusions dans le rapport Dentexia : « des plateformes qu’elle [la mission de l’IGAS] a interrogées ont admis avoir compté des centres Dentexia dans leurs réseaux dentaires. (...) Dans presque tous les réseaux dentaires, [la mission constate] la présence de centres de santé dentaires dont le modèle économique repose sur l’intrication entre un organisme à but non lucratif et des sociétés privées à but lucratif [centres qualifiés « à risques potentiels » par la mission] » (Télécharger le rapport IGAS).
CDF-Mag : Comment avez-vous conduit la défense des CDF ?
M. S. : Face à ces accusations, le Bureau confédéral a opposé l’absence d’illégalités commises (ce qui était reproché à d’autres instances professionnelles). Et, surtout, que toutes les actions syndicales qu’on nous reproche sont strictement délimitées par nos libertés constitutionnelles et le droit, garanti par la Constitution, de défendre les intérêts de notre profession. En deuxième ligne de défense, nous avons démontré que ces actions (que l’AC qualifie d’entrave à l’activité des réseaux) n’avaient pas produit le moindre effet anticoncurrentiel. D’ailleurs, ça n’a jamais été le but. Nous avons également mis en avant le refus d’investigations de l’AC sur notre plainte, alors qu’elle s’est donnée tous les moyens dans son dossier contre la profession. Enfin, nous avons démontré que toutes nos actions étaient en miroir de celles mises en oeuvre par les réseaux, et plus particulièrement l’information du patient.
Pourquoi alors cette condamnation si lourde ? M. S. : Effectivement, c’est la question à laquelle la décision ne répond pas. Ni par sa motivation, ni par sa sévérité. La sanction est proportionnelle aux ressources. Pour nous, elle avoisine 25 %. C’est totalement injuste et injustifié. À aucun moment, cette décision n’apporte la preuve que nos pratiques avaient pour objet ou pour effet d’entraver le jeu de la libre concurrence. Bien au contraire, par une argumentation publique et transparente, nous avons émis de simples avis et rappelé des positions de principes sur le libre choix du patient et la liberté thérapeutique du praticien. Aucun de nos arguments de défense et aucune de nos interrogations n’ont été repris. Ainsi, notre simple demande de produire, par comparaison au nombre de démissions du réseau, le nombre d’adhésions, a été balayée d’un revers de main.
CDF-Mag : Quelle sera la suite pour Les CDF ?
M. S. : La décision de l’AC est exécutoire nonobstant appel. Nous allons donc faire appel et demander le sursis à exécution, compte tenu de l’importance de la sanction et des conséquences irrémédiables qu’elle peut provoquer. Nous avons surtout besoin que la justice française, voire européenne, précise clairement la ligne de partage entre les libertés fondamentales, garanties constitutionnellement en France ainsi que par le Traité de l’Union, et le droit de la concurrence. C’est une question fondamentale. Car, et je le répète, aucune de nos actions n’a été qualifiée d’illégale. Pour ce qui est de la condamnation des CDF, la décision apparaît donc comme le fruit de suppositions et d’hypothèses sans preuve, émises « dans la foulée » de la condamnation d’autres entités. Si, face aux autres « acteurs du marché », l’affirmation de nos valeurs libérales ou le rappel de la liberté thérapeutique et du libre choix doivent être sanctionnés, que restera-t-il pour l’action syndicale ?