Le tribut du personnel médical italien au Coronavirus est terrifiant : au 23 avril, 148 médecins toutes spécialités médicales confondues y compris dentaire, 34 infirmières et 13 pharmaciens ont payé de leur vie leur courage et leur abnégation. Quelques 6.900 infirmiers et infirmières et agents sanitaires ont été contaminés par le CoVID-19. «Ils nous ont envoyé combattre la guerre à mains nues», s’insurge un médecin généraliste de Bergame, Vincenzo Leone, en dénonçant le manque criant d’équipements, masques, tests, blouses de protection, bouteilles d’oxygène. 11% des contaminations au CoVID-19 sont des personnels de santé - 68% d’entre eux sont des femmes, du fait de leur forte représentation dans le système de Santé Italien.
Le bilan de la pandémie ne fait que s’aggraver : 25 085 hier midi. Dans la province de Lodi (Lombardie, entre Milan et Crémone) où le premier cas de coronavirus a été détecté le 20 février à Codogno, l’épidémie s’est répandue comme une trainée de poudre et le bilan est dramatique : 8.000 contaminés en un mois et 143 morts à Codogno. Un collectif de médecins ayant étudié les données épidémiologiques de 5.830 cas est parvenu à la conclusion que « l’épidémie a commencé à circuler bien avant la découverte du patient N.1 : probablement depuis le début janvier, sans avoir été détectée ». Comment s’est propagée cette épidémie dans des villages et des zones, certes au contact avec la Chine et le reste de l’Europe du fait de leur intense activité économique mais aussi dans certains cas, reculés et distants de cette mondialisation ?
Le 31 janvier 2020, l’Italie déclare l’Etat d’urgence qui prendra officiellement fin 6 mois après. En effet, les deux premiers cas sont recensés dans un hôtel du centre ville de Rome. Ce sont deux cas importés : un couple de touristes chinois qui, dès les premiers symptômes, se met en auto-isolement dans leur chambre d’hôtel et est pris en charge au Spallanzani, l’hôpital de référence à Rome pour les maladies infectieuses. Soigné, le couple remercie chaleureusement le peuple et les médecins italiens et rentre au bout de 3 semaines en Chine. L’épidémie corrélée à ces epi-contaminations est limitée et n’entraîne pas de contaminations annexes.
Le premier patient européen détecté fut Mattia, jeune cadre d’entreprise de 38 ans, sportif, atlhétique, en parfaite santé, futur papa qui habite Codogno, localité de 15.000 habitants en Lombardie, à 60 km au Sud-Est de Milan. Cadre dans le groupe Unilever. C’est au cours d’un dîner avec un collègue arrivant d’Allemagne qu’il aurait été contaminé ainsi que son épouse. Le 15 février, il tombe malade. Le médecin traitant suspecte une grippe saisonnière mais face à l’aggravation des symptômes, une radio réalisée le 18 février met en évidence un début de pneumonie. L’hospitalisation se fera la nuit du 19 au 20 février, face à la dégradation très rapide, sous la responsabilité de l’interne de garde la doctoresse Annalisa Malara. « Je me suis trouvée devant une maladie inconnue, impossible à détecter au premier examen. Le sujet était jeune, de constitution robuste. Et pourtant son état de santé se détériorait à vue d’œil. J’ai décidé de le soumettre à un test (par tampon), une initiative que le protocole ne prévoyait pas à ce moment-là. L’examen a été envoyé à 13 heures à hôpital Sacco de Milan, à 60 km, spécialisé dans les maladies infectieuses. A 20h30, nous avons eu confirmation qu’il s’agissait du COVID-19 ».
Branle-bas de combat à l’hôpital de Codogno. Annalisa et les trois infirmières présentes dans le service endossent à la hâte des tenues de protection et vont veiller le patient toute la nuit. Le 21 février au matin, Mattia est transféré en urgence à Pavie, à 50 km. Déjà inconscient, il est admis en réanimation dans le service du professeur Bruno, plongé dans un coma thérapeutique et aussitôt intubé. Pendant dix-huit jours, il restera branché à un respirateur artificiel, entre la vie et la mort.
Pendant ce temps, le virus circule déjà sur ce territoire qui concentre certaines similitudes avec la région de Wuhan : une grande densité humaine dans les centres urbains, une grande proximité inter-humaine liée aux modes de production économique et aux structures même des populations (un rapport très fort lie les familles entre elles et les rencontres familiales inter-générationelles sont multiples), un multitude d’échanges commerciaux avec le reste du monde. Tout ce qui favorise la diffusion virale (mondialisation, échange commerciaux, activités sportives, carnaval de Venise,…). L’Italie du Nord concentre une grande partie des richesses économiques et productives de l’Europe. Elle communique aussi bien avec l’Allemagne, l’Autriche, la Suisse, la France, mais aussi le reste du bassin méditerranéen et le reste du monde.
Le 19 février a lieu le fameux match « Atalanta Bergamo - Valencia » qui sera définit par les virologues italiens comme une « bombe épidémiologique ». Toutefois, il est encore difficile d’évaluer à ce jour quels supporters ont contaminé les uns les autres. Ce qui est certain, c’est que ce match a drainé des supporters de toute la région et d’Espagne qui sont venus fêter ce moment de joie en groupe et en famille… Et ceux qui n’y étaient pas se sont regroupés dans les bars pour célébrer ce moment inespéré pour leur équipe. Le virus circulait certainement aussi dans la région de Valence car dés le 13 février, l’Espagne recense son premier cas mortel par CoVID-19 (Il n’a été communiquée que début mars). Le 21 février, Adriano Trevisan, 78 ans, est le premier patient a décédé officiellement en Italie du CoVID-19 à ‘Vo Euganeo – Vénétie.
Le 4 mars, deux foyers principaux de contamination sont recensés ‘Vo Euganeo en Vénitie et Codogno en Lombardie. Face à la propagation du virus au sein de la botte italienne, le Président du Conseil italien Giuseppe Conte décide la fermeture des écoles et des universités, avec mise en place de mesures économiques d’accompagnement des familles dont un des deux parents doit se charger de garder les enfants. Les manifestations se déroulant dans des espaces où la distance de sécurité de 1m ne peut être respectée sont annulées. Les cinémas, les évènements sportifs, les cinémas, les théâtres sont fermées. La difficulté est de circonscrire l’épidémie. Autant dans la région de ‘Vo Euganeo (Vénétie), le confinement semble porter ses fruits – c’est une zone peu peuplée et les cas ont été tout de suite circonscrits, autant la région comprenant Codogno et Bergame est plus complexe à gérer. De plus, des erreurs dans la prise en charge des premiers cas de CoVID à l’hôpital de Bergame a entrainé l’exposition inutile des personnels de santé et de personnes qui ont à leur tour contaminé d’autres personnes.
Déjà, les journaux et les réseaux sociaux relaient les messages d’urgentistes ou de réanimateurs des hôpitaux du Nord : « Restez chez vous » « C’é troppa gente in giro » « Il y a trop de monde en promenade ».
Le 8 mars, Guiseppe Conte prend la décision radicale de confiner les régions du Nord les plus touchées. C’est le poumon économique de l’Italie – Lombardie, huit provinces de la région d’Emilie-Romagne, trois provinces de la Vénétie, cinq provinces dans le Piémont et deux provinces dans Les Marches – qui est paralysé afin de protéger le reste du pays, moins bien doté en structures sanitaires. Dans la nuit précédente, la protection civile évalue entre 20.000 et 25.000 personnes fuyant ce blocus et tentant de se réfugier auprès de leur famille ou dans leur résidence secondaire, dans les Pouilles, en Basilicate, en Sicile, en Sardaigne ou en Calabre. A leur descente du train et des bus, elles seront accueillis par les forces de l’ordre qui leur intimeront une quarantaine stricte et forcée avec obligation de surveillance médicale.
Le 10 mars, 60 millions d’Italiens sont placés en confinement. Plus de possibilités de se déplacer, interdiction de voyager, de se promener, de faire ses courses en dehors des produits de première nécessité, fermeture des entreprises non-indispensables… L’attestation de déplacement est obligatoire, le temps de déplacement est limité à une heure, la promenade de son chien est limitée au voisinage.
En Lombardie, le virus a fait tâche d’huile. Les bilans sont épouvantables : 9.715 contaminés et 2.292 morts en un mois à Bergame (sur 120.000 habitants), 9.014 contaminés et 1.533 morts dans la ville industrielle de Brescia (sur 200.000 habitants), 631 morts et 3.979 contaminés à Crémone, la patrie des luthiers (72.000 habitants), à trente km de Codogno. Début avril, l’Italie comptait 116.000 contaminés et 18.278 morts. Sept fois plus que dans la ville de Wuhan qui a officiellement annoncé 2.535 morts.
Les italiens apprennent la triste réalité du CoVID-19. Mourir, c’est mourir seul à l’hôpital, sans pouvoir tenir la main d’un proche, avec la sensation de se noyer… Soigner, c’est soigner dans des conditions de stress et d’épuisement extrême avec le risque de ramener le virus chez soi. Soigner, c’est aussi choisir qui a une chance de survivre car il y a pénurie de matériel. Soigner, c’est aussi faire preuve d’ingéniosité, d’inventivité afin d’imaginer au regard des pauvres connaissances quelles stratégies thérapeutiques sont valables pour sauver des vies. Voir partir ses proches à l’hôpital, c’est ne pas savoir si on les reverra… Il n’y a pas d’enterrement avec le CoVID-19. Les morgues sont pleines et la seule solution sanitaire valable est la crémation des corps. Face à la quantité de décès, l’armée est réquisitionnée pour emmener les cercueils en Toscane car les crématoriums du Nord ne suffisent plus. Dans leurs journaux, les italiens découvrent les photographies de camions de l’armée, non pas venus secourir leur personnel soignant, mais pour transporter les cercueils d’une région à l’autre. Accoucher aux temps du CoVID-19, c’est accoucher seule, sans personne auprès de soi, en dehors du personnel médical afin de limiter le risque de propagation. Accoucher en étant contaminée, c’est accoucher avec césarienne sous cloche plastique sans partager les premiers moments essentiels avec son enfant. Travailler, c’est pour certaines entreprises faire preuve d’ingéniosité et d’altruisme afin de développer des nouveaux produits pour permettre la réanimation de patients atteints. C’est adapter des technologies de pointe comme l’usinage 3D afin d’équiper des masques Decatlon.
Pourtant, dès le 30 janvier, l’Italie avait unilatéralement suspendu toutes ses liaisons aériennes avec la Chine, c’était le premier pays dans le monde à le faire.
Pourtant, l’Italie a le potentiel médical capable de gérer cette crise inédite. Le Nord, riche de ses ressources, possède des infrastructures médicales parmi les plus développées d’Europe.
Pourtant le virus a été séquencé en Italie dès le 2 février à l’hôpital Spallanzani de Rome, grâce à la découverte de la contamination des 2 touristes chinois. L’équipe de chercheurs est entièrement féminine. Maria Capobianchi, directrice du laboratoire de Virologie de l’hôpital associée à Concetta Castiletti et Francesca Colavita, ont réussi, au prix de minutieuses et périlleuses manipulations, à individualiser pour la première fois la séquence génomique du CoVID-19. Par ailleurs, le super-calculateur LEONARDO de Cineca - basé à Bologne a permis de mettre en relation les protéines qui permettent le développement du CoVID-19 avec une bibliothèque de 500 milliards de molécules pharmacologiques… Selon le directeur du Cineca David Vanozzi : « pour obtenir ce même résultat, cela demande 4 mois de travail avec des techniques classiques. Le computer exécute 50 millions de milliards d’opérations à la seconde. Nous avons pu individualiser les 40 premières molécules qui ont un effet sur le développement du virus ». De même, dès les premiers jours de l’épidémie, le virologue Roberto Burioni, enseignant en Microbiologie et Virologie à l’Université du San Raphaël à Milan et connu pour sa communication virulente anti-fake news sur sa page « Medical Facts » avait alerté et à maintes reprises sur la nécessité du confinement et de la distanciation sociale. Enfin, un consortium européen constitué par les entreprises ReiThera (Province de Rome) Leukocare de Munich et Univercells de Bruxelles a annoncé la première expérimentation clinique sur l’Homme en Italie durant cet été 2020.
Quant à la provenance du virus, les avis médicaux divergent. Selon les épidémiologistes du campus biomédical de Rome, il aurait au moins deux souches différentes. Une serait arrivée directement de Chine en Lombardie en raison de ses importants échanges économiques avec la province du Wuhan. L’autre serait venue d’Allemagne et aurait aussi pu contaminer des gens en Suisse et au Mexique. Dans une interview au Corriere della Sera, le 7 avril 2020, Roberto Burioni, le confirme : « seule l’analyse une fois la situation de crise passée permettra de comprendre ce qui est arrivé car ceci ne nous est pas encore clair. Les virus ont dans leur génome toute leur histoire écrite, d’où est partie la contamination et comment elle a évoluée. Mais à ce jour toutes les énergies doivent être utilisées pour combattre cette tragédie. »
Au 8 avril 2020, le ministre de la Santé Italien Roberto Speranza a annoncé que l’indice de contamination R serait proche de 1 alors qu’il était de 3-4, il y a quelques semaines encore… C’est une nouvelle inespérée pour les Italiens qui permet d’espérer une sortie de crise par secteur, par tranche d’âge et par région. Et plus que jamais, les sites gouvernementaux et associatifs répètent : « aucun relâchement dans ce confinement afin d’éviter la moindre reprise et de mettre en échec les efforts colossaux consentis » Aujourd’hui, l’Italie toute entière se prépare donc à un déconfinement au 3 mai, en recommandant aux personnes à risques de ne pas s’exposer.
La situation économique italienne est catastrophique avec 6,7 millions de chômeurs et une perte de 10% de son PIB. Le retour au travail de 2,7 millions de salariés au travail devrait reprendre tout doucement avec des conditions de travail et de distanciation sociale extrêmement strictes (masques dans l’espace public, 1,5 mètre entre chaque personne,…). Les mêmes qui doivent être mis en place en France. Les bus romains ne devraient pas accepter plus de quelques dizaines de passagers ce qui générera des problématiques d’accès au travail. Les projets de tests sérologiques deviennent aussi un enjeu entre les différentes régions tandis que la Lombardie affiche encore des taux de contamination élevés ne permettant pas d’envisager un petit moment de répit. Les bars, les cinémas, les restaurants, tout ce qui constituent l’âme de la « dolce vita » n’ont pas encore de planning. Nul doute qu’ils figureront parmi les derniers. L’école, les collèges et l’Enseignement Supérieur quant à eux ne reprendront certainement pas avant septembre. Et dans toute cette pesanteur logistique fleurissent quelques projets de distanciation sociale sur les plages pour cet été… Surnommé « le four à pizza », un établissement balnéaire de Rimini envisage d’équiper ses plages de cellules en plexiglass afin d’assurer une sécurité anti-coronavirus même en maillot de bain. Ce qui permet d’amener un petit sourire aux internautes sur les réseaux sociaux dans cette tourmente virale…