Vendredi 14 avril après-midi, au siège de l’Assurance maladie, Thomas Fatôme, directeur général de la Cnam, Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée et une dizaine de leurs conseillers ont accueilli les représentants des chirurgiens-dentistes et de l’Unocam pour la première réunion plénière des négociations conventionnelles. Les CDF étaient représentés par leur président, Pierre-Olivier Donnat, accompagné de six cadres CDF et de Gérard Motto, président du Syndicat français des spécialistes en orthodontie. La veille, François Braun, ministre de la Santé et de la Solidarité avait reçu le président des CDF pour un échange sur les enjeux de la santé orale et sur la lettre de cadrage qui oriente ces négociations autour de quatre priorités : la prévention bucco-dentaire, l’égal accès aux soins sur l’ensemble du territoire, l’évolution des conditions de prise en charge et du dispositif 100 % santé et l’amélioration de la prise en charge des publics fragiles. Au cours de cette entrevue informelle, Pierre-Olivier Donnat lui a rappelé les priorités et les attentes des praticiens ainsi que les pierres d’achoppement entre l’Assurance maladie et la profession qui concernent notamment la valorisation de certains actes de soins ou de prévention, ainsi que la nécessité de la prise en compte de l’inflation pour ne pas générer un exercice déséquilibré…
L'équipe de négociateurs des CDF
Pierre-Olivier Donnat, président des CDF
Alain Vallory, secrétaire général
Julien Cardona, secrétaire général adjoint
Benoit Caloone, président du pôle cadre d’exercice
Catherine Mojaïsky, Thierry Soulié, Gérard Morel, conseillers techniques
Gérard Motto, président du Syndicat français des spécialistes en orthodontie (SFSO)
Bilan contesté
Le lendemain, la séance de négociation a débuté par un bilan de la convention 2018-2023 présenté par l’Assurance maladie. Certains points font consensus, notamment l’amélioration globale de l’accès aux soins mais pas l’interprétation des chiffres concernant le 100 % santé. En effet, pour la CNAM, le rééquilibrage aurait dû se traduire en volume, par davantage de soins au détriment des actes de prothèses, alors que cela n’a jamais été l’objectif de la précédente convention. Celle-ci actait un rééquilibrage sur la valeur économique des actes et non sur leurs volumes, selon un processus progressif et réciproque de revalorisations des soins conservateurs et chirurgicaux en échange de plafonds sur des prothèses. L'idée était de favoriser l’accès aux soins à ces dernières. La profession y a parfaitement répondu et c’est ce qui lui serait aujourd’hui reproché !
Ce furent les premiers points de désaccord avec la profession qui a argumenté sur le fait qu’après des années de renoncement aux soins, il était prévisible que de nombreux patients soient demandeurs de ces traitements et qu’un effet de rattrapage s’opère. Cela avait du reste été envisagé, sous l’appellation : effet induit durant une période de montée en charge du dispositif matérialisé par des variables évaluées à +/- 10% les 2 premières années et +/- 5% les 2 suivantes. Par ailleurs, il est impensable de demander aux chirurgiens-dentistes de réguler leurs actes en fonction de quotas. Ils ne choisissent pas les soins à réaliser dans la bouche de leurs patients mais répondent à une nécessité médicale. Cette évidence n’est pas apparue aussi limpide pour certains partenaires conventionnels ! Les CDF ont donc tenu à leur réexpliquer clairement, dès cette première séance !
Le second hiatus est né du constat fait par la Cnam de l’augmentation des dépenses d’orthodontie. Confondant dépassements et honoraires, elle s’alarme d’une croissance constante de ces dépenses. Elle oublie dans ce constat la corrélation avec le nombre de patients traités qui révèle une augmentation du volume de travail pour les praticiens concernés. Gérard Motto en a également profité pour dénoncer une base de remboursement de l’orthodontie qui n’a pas évolué depuis près de 40 ans…
Prévention hors les murs
Passé ces amabilités préliminaires autour du bilan, la prévention a été le premier sujet mis sur la table de négociation par l’Assurance maladie. Il n’est pas anodin de l’avoir placé en premier. Cependant, même si les propositions de la Cnam reprennent essentiellement les actions existantes ou des orientations attendues (EBD, techniques de soins, écoresponsabilité…), une d’elles a interpellé la profession. Il s’agit de « valoriser l’engagement des chirurgiens-dentistes libéraux dans les actions de prévention et de dépistage bucco-dentaire en dehors du cabinet ». Si l’intention semble louable, il reste toutefois difficile d’imaginer les praticiens faire des vacations de prévention hors de leur cabinet alors même qu’ils n’arrivent pas à répondre à la demande de soins dans leur cabinet ! Cette première orientation croise ainsi le deuxième axe de proposition : la démographie professionnelle.
Entre les perturbations liées à la Covid et le peu d’engagement de l’Assurance maladie sur ce sujet, le zonage destiné à orienter les aides à l’installation n’a pas évolué durant les 5 dernières années et les données datent maintenant d’une bonne décennie ! Or, la situation s’est considérablement dégradée depuis et pour être efficaces, il est indispensable que les dispositifs existants s’appuient sur un zonage actualisé et porteur de sens quant aux besoins en santé orale de la population, pas seulement sur un indicateur de densité professionnelle ! C’est pourquoi les CDF ont proposé d’inclure d’autres indicateurs à la méthode APL* afin d’en améliorer la pertinence, tout en précisant que les dispositifs d’aide à l’installation et au maintien dans les zones ciblées doivent être très largement réévalués pour devenir plus attractifs. Sans être des réponses immédiates et suffisantes aux difficultés présentes, le développement du numérique et la création d’assistants dentaires de niveau 2 devraient participer à l’évolution vers un exercice plus attrayant et profitable aux zones en tension.
L’Assurance maladie a formulé deux propositions majeures à la table des négociations : modifier les critères de zonage afin d’augmenter leur champ d’action et limiter les installations dans les zones non prioritaires. Elle a ainsi proposé un schéma de zonage qui déclinerait 5 catégories, allant de zones « très sous-dotée » à « non prioritaires » avec pour objectif que celles qui sont « aidées » recouvrent 30 % de la population française contre seulement 7 % aujourd’hui. Cela signifierait une augmentation très importante des zones ciblées par les aides à l’installation et au maintien de l’activité. En contrepartie, la Cnam propose pour les zones non prioritaires, la mise en place d’une régulation de l’installation avec une capacité à s’installer dans ces zones uniquement si « un autre chirurgien-dentiste a préalablement mis fin à son activité conventionnée dans la même zone».
Pierre-Olivier Donnat a sèchement réagi au nom des CDF en dénonçant le cadeau fait aux centres de soins dentaires qui pourraient augmenter leur nombre de fauteuils sans limite, et même, en étant débarrassés de toute concurrence. Cet argument a été pris en compte par le directeur de l’Unocam.
Équilibrage financier et valorisation
La troisième orientation concerne les conditions de prise en charge des actes bucco-dentaires et le dispositif 100 % santé. Si la volonté affichée de la Cnam est de « parvenir à un rééquilibrage de l’activité dentaire au profit des soins conservateurs d’ici 2028 », il faut bien se rendre à l’évidence, rappellent les CDF, que les actions entreprises aujourd’hui ne produiront leur effet que sur le moyen et long terme. Et les politiques de prévention actuelles ne se mesureront que sur le temps long, comme c’est le cas actuellement sur les jeunes générations avec les EBD (ex-BBD), et les diverses mesures entrées en vigueur depuis un quart de siècle. Mais aujourd’hui, « les patients sont toujours ce qu’ils sont », a souligné Alain Vallory. Aussi, le rééquilibrage financier initié par la convention 2018-2023 doit se poursuivre afin de revaloriser des soins conservateurs d’endodontie et de chirurgie encore très en dessous de leur juste rémunération. À ce sujet, un focus particulier devra être mis sur l’odontologie pédiatrique.
Les discussions se sont ensuite poursuivies sur la prise en charge des publics fragiles. Afin de mieux répondre à leurs besoins de soins, la négociation portera sur les améliorations des dispositifs déjà existants concernant le handicap, la dépendance ou les maladies chroniques.
Le marathon est lancé
Cette première séance plénière a donc permis un balayage des quatre orientations prévues dans la lettre de cadrage du ministre et de débattre du bilan dressé de la convention par l’Assurance maladie. La négociation se poursuivra selon un calendrier déjà fixé avec des réunions plénières et des séances techniques sur des sujets spécifiques. Alors que la Cnam ne proposait que trois groupes de travail (Prévention, 100 % santé et Nomenclature), les CDF ont obtenu qu’un quatrième soit constitué sur le thème de la démographie. À l’issue de ces premiers échanges, les semaines futures s’annoncent donc intenses pour qu’un nouveau texte conventionnel soit bâti et surtout, pour qu’il réponde aux exigences de la profession.
* Méthode APL : L’indicateur d’accessibilité potentielle localisée (APL) mesure l’adéquation spatiale entre l’offre et la demande de soins de premier recours à un échelon géographique fin.