En lisant entre les lignes, il semblerait que si les chirurgiens-dentistes soignent trop, ce n’est pas bien, et s’ils ne soignent plus ce n’est pas bien non plus. Faciliter l'accès pour une meilleure prise en charge ne pouvait rester sans effet sur la demande des patients et la nécessité d'y répondre. Aussi, une attitude plus objective vis-à-vis de ces chiffres s’impose.
La France est encore loin d’un parcours de soins basé sur les facteurs de risque du patient
Toutes les parties partagent le même but : favoriser au maximum l’intervention minimale et la préservation de la santé orale des patients. La convention 2018 a apporté des revalorisations salutaires sur les soins conservateurs, mais n’a pas encore pris la mesure des dispositions à mettre en oeuvre pour améliorer la prise en charge précoce de la population. La France est encore loin d’un parcours de soins basé sur les facteurs de risque du patient, et d’une prise en charge des traitements préventifs qui ont démontré leur coût-efficacité.
Cependant, depuis plusieurs années, une baisse tendancielle des soins est observée, notamment sur l’endodontie et les restaurations plastiques, de l’ordre de quelques points par an. Si le phénomène se poursuit de manière linéaire, dans 20 ans, la moitié des traitements endodontiques aura disparu. Nous sommes encore loin d’un futur sans caries, mais un ralentissement est constaté, en France comme dans d’autres pays. Serait-ce vraiment une mauvaise chose pour les patients ? Ces analyses démontrent plutôt qu’il est possible d’investir massivement dans ces actes sous-valorisés et la prévention pour construire un avenir basé sur l’intervention minimale. Que l’on soit critique vis-à-vis de ces chiffres ou pas, avec cette multitude d’effets induits et de paramètres, difficile de savoir si le verre est à moitié plein, ou à moitié vide. La vraie question est de savoir si la santé orale s’améliore et cela, personne ne peut y répondre. Pourquoi ?
"Si les chirurgiens-dentistes soignent trop, ce n'est pas bien, et s'ils ne soignent plus ce n'est pas bien non plus"
Malgré 13 milliards de dépense dentaire et un reste à charge des plus faibles au monde, la France navigue à vue : sans instrument de mesure, les parties prenantes des négociations conventionnelles ignorent actuellement l’état de santé orale de la population française. Imagine-t-on une politique de prévention du diabète ou des cancers sans mesurer le nombre de personnes impactées par ces pathologies ? Non. Pourtant, aucune enquête à l’échelle nationale n’a été réalisée depuis 2006. L’Assurance maladie se base uniquement sur la consommation de soins des patients qui fréquentent le cabinet et le ministère sur les sondages de l’accès aux soins.
Recommandation numéro 1 du programme d’action de l’OMS pour la santé orale, publié en cette année 2023, la mesure de l’état de santé des patients doit être le point de départ de toute réflexion démographique et d’attribution de moyens aux professionnels de santé pour réaliser leurs missions. Sans volonté de regarder les enjeux tels qu’ils se présentent, il ne sera pas possible d’avoir une discussion éclairée sur les stratégies à mettre en oeuvre.
Les Français méritent une vraie stratégie en santé orale, afin de la conserver. C’est possible, d’autres l’ont fait, et la roue n’a pas besoin d’être réinventée pour savoir ce qui doit être mis en oeuvre. Certains pays comme le Danemark ou le Japon ont obtenu des progrès spectaculaires en l’espace de 20 ans. Espérons que les négociations qui s’ouvrent seront l’occasion pour les pouvoirs publics de ne plus conduire une politique de santé à l’aveugle et de s’appuyer enfin sur les acquis de la science pour répondre à ce problème médical.
Marco Mazevet, Délégué général