Quel bilan tirez-vous des quatre tables rondes de Cap Estérel ?
Thierry Soulié : Un bilan très positif dans la mesure où les thèmes traités ont permis de réunir sur le plateau des personnes de renom qui font référence dans leurs domaines de compétences, et que l’auditoire a été, si l’on en croit le questionnaire de satisfaction, conquis par la qualité des débats.
Aujourd’hui, il faut éviter la maladie, mais comment valoriser financièrement les actes de prévention dans les cabinets ?
Il faut éviter la maladie, oui, autant que possible, mais on meurt rarement en bonne santé. Disons plus modestement que l’on doit tout mettre en œuvre pour être en bonne santé le plus longtemps possible. Et pour cela, il faut absolument s’engager vers la prévention, et s’il est un domaine où elle a fait ses preuves, c’est bien dans le nôtre.
La forfaitisation est-elle la solution ? La nouvelle Convention apporte-t-elle des solutions ?
"Les forfaits sont plus en adéquation avec la prévention qui relève davantage d’une prise en charge globale de la santé"
L’unique solution non, mais une des solutions sans doute ! Nous connaissons le paiement à l’acte qui se prête parfaitement aux actes techniques et cliniques pour traiter des pathologies. Les forfaits sont plus en adéquation avec la prévention qui relève davantage d’une prise en charge globale de la santé. Mais la forfaitisation n’est pas la panacée, et ne se substitue pas au paiement à l’acte, les deux sont complémentaires. La nouvelle Convention en apporte la preuve : le vernis fluoré, acte préventif, a intégré le champ de la prise en charge par l’Assurance maladie dans la tranche d’âge du 6e au 10e anniversaire, et un forfait de prévention va être expérimenté en début d’année dans deux régions de France dans les tranches d’âge de 18 à 24 ans, avec vocation à être étendu sur tout le territoire par la suite.
Pensez-vous que les patients sont mûrs pour passer de l’assurance « maladie » à l’assurance « santé », c’est-à-dire à la prévention ?
La maladie est un risque. La santé est un état que l’on doit conserver le mieux et le plus longtemps possible. Nous parlons d’assurance maladie, pas d’assurance santé.
"Je pense que les patients sont mûrs pour évoluer vers un comportement plus prévento-conscient"
Les Français sont habitués au curatif grâce à notre système de soins fondé sur la solidarité, et les assurances maladie et complémentaires couvrent tout ou partie de ce risque. Nous avons d’ailleurs souvent dénoncé cette vision purement comptable. En revanche, la santé en termes assurantiels est très difficile à modéliser économiquement. Ce sont donc les comportements qu’il faut changer, tant chez les patients que chez les praticiens. C’est ce challenge que nous avons décidé de relever. Oui, je pense que les patients sont mûrs pour évoluer vers un comportement plus prévento-conscient. Il vaut mieux, du reste, sinon cela ne fonctionnera pas.
Lors de la table ronde sur les nouvelles technologies, il a été martelé que les chirurgiens-dentistes, dans leur cabinet, avaient un rôle actif dans l’innovation et la recherche et développement. Êtes-vous d’accord avec cela ?
Oui, complètement ! Notre métier a toujours fonctionné avec de nouvelles techniques, de nouveaux produits. Nous, chirurgiens-dentistes, sommes avides et curieux de tout ce qui relève de l’innovation, laquelle fait partie intégrante de notre univers : nous nous inscrivons pleinement dans ce schéma.
La solvabilisation des patients et le choix de rembourser tels ou tels actes ne sont-ils pas plus importants pour guider les industriels ?
Il est évident que la prise en charge des actes en solvabilisant les patients sécurise en même temps les produits et prestations qui y sont associées. Il est donc tout naturel que les industriels s’y intéressent et orientent leur activité en conséquence. Mais la réciproque est vraie. De la R&D dépendent les innovations qui auront vocation un jour à être prises en charge. C’est pourquoi lors de mon allocution de candidature, je me suis engagé à avoir un dialogue encore plus ouvert avec les industriels. Nos intérêts sont connexes. La même démarche a été faite envers les universitaires, dont je salue la présence, pour ceux qui ont accepté notre invitation lors de cette UE. Leur éclairage est indispensable. Qui, mieux qu’eux, peut nous dire ce que sera demain ? Ils sont pour nous une source indispensable pour engager les politiques à agir dans le bon sens.
L’interprofessionnalité, les Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), ont souvent été évoquées comme des voies d’avenir pour la profession. Qu’en pensez- vous ? Est-ce la fin du cabinet isolé ?
La tendance est au regroupement, c’est une évidence, ce phénomène n’est pas nouveau mais il s’accélère. La fin du cabinet isolé, je n’en suis pas certain, il faudra bien résoudre aussi les problèmes de proximité et tous les praticiens ne désirent pas forcément exercer en association, laquelle pose aussi des problèmes. On peut concevoir avec les moyens de communication modernes et les progrès techniques actuels que certains puissent, de manière connectée, exercer seuls et en même temps en coordination et coopération interprofessionnelle, entourés d’un personnel qualifié auquel sont confiées des tâches déléguées pour les assister. Les grandes planifications imaginées par nos élites ne résistent pas toujours à l’épreuve du terrain.
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Nicolas Revel dit que les CPTS sont un pari et ne seront que ce vous en ferez… Que souhaitez-vous en faire ?
Nous avons signé l’accord conventionnel concernant les communautés professionnelles des territoires de santé (ACI-CPTS) : c’est donc que nous y trouvons un intérêt. Les chirurgiens-dentistes ont toute leur place dans ce modèle organisationnel qui fait appel à la coopération interprofessionnelle. Notre profession est de plus en plus impliquée dans la prévention, nous l’avons dit. Mais elle a aussi un rôle important à jouer dans la prise en compte des urgences et dans les maladies chroniques pour un exercice médical toujours plus connecté. Ces nouveaux schémas encore un peu « abstraits » pour certains d’entre nous, sont en train de se mettre en place. Ils ne peuvent se faire sans nous, qui devons prendre toute notre place dans ce qui est en train de se dessiner pour en être les acteurs.
Philippe Vermesch, président du syndicat des médecins libéraux, appelle à plus d’échanges entre vous, pour négocier en position de force. Que lui répondez-vous ?
Que je le rejoins complètement. Nous parlions de coopération interpro : nous devons intensifier nos relations, et ce d’au- tant plus qu’avec les CPTS nous allons partager de plus en plus de dossiers. En outre, Philippe est stomatologue, nous partageons donc la même sphère anatomique. Nos deux professions n’ont pas toujours, par le passé, fonctionné en synergie comme elles auraient dû le faire. Nous avions en 2012, lors de la négociation de l’avenant n° 2 de la précédente Convention, abordé la spécificité des actes de chirurgie dentaire et demandé qu’en cas d’avulsions multiples et/ou complexes, un supplément soit alloué en cas de réalisation en cabinet de ville afin de limiter le volume des interventions à l’hôpital. Cela vient de leur être accordé pour les avulsions des quatre dents de sagesse retenues ou incluses dans une même séance. Nous aurions pu porter ce projet ensemble. Je me félicite de ce résultat obtenu, et le revendique aussi pour nous. Une demande a été faite dans ce sens depuis le mois de juillet au directeur de l’Uncam.
Croyez-vous également, comme le dit Nicolas Revel, que la nouvelle Convention a permis de sortir du mauvais deal : « entente directe et non revalorisation des actes opposables » ?
Ce deal n’a jamais été écrit et personnellement je m’y suis toujours opposé par principe. Il est toujours préférable d’avoir une activité fondée sur une cohérence et un équilibre des revenus. Mais en l’absence de revalorisations significatives des soins opposables, nous avons eu raison de défendre la liberté des honoraires, qui a permis surtout en période inflationniste de moderniser et accompagner les progrès techniques dans les cabinets.
"Il faudra encore ferrailler pour obtenir davantage"
Toutefois, ce schéma avait atteint ses limites et ne pouvait pas durer pour de multiples raisons. Il était grand temps de revoir les choses et de proposer un autre schéma plus équilibré. Nous n’avons pas obtenu gain de cause sur tout, et il faudra encore ferrailler pour obtenir davantage, mais il nous a permis de sortir de ce cercle infernal qui aurait fait notre perte. J’aurai l’occasion de revenir là-dessus.
Un accord est-il encore possible sur le devis ?
Je l’espère, mais c’est compliqué. Des avancées ont eu lieu grâce à l’action conjuguée des syndicats signataires de la Convention. L’Union dentaire a parlé d’un devis « estampillé UD », ce qui m’amène à tempérer ce propos. Pour deux raisons : d’une part, car c’est quelque peu exagéré dans la mesure où sur l’essentiel nous portons depuis le début les mêmes revendications de clarté et de simplicité. Plutôt que de s’attribuer la paternité du travail, j’aurais aimé un peu plus d’objectivité de leur part, dans la mesure où nos remarques ont été complémentaires. Et par ailleurs, c’est aller encore un peu vite en besogne, dans la mesure où du travail reste encore à réaliser, notamment dans la définition de l’alternative thérapeutique et en matière de simplification.