Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
Je me suis engagée dans des études dentaires pour devenir orthodontiste, car je voulais travailler avec des enfants, et ce métier m’a paru être idéal pour cela. Puis je me suis installée. Mon intérêt pour l’enseignement est venu au fur et à mesure. Il n’y avait quasiment que des enseignants dans ma famille et je pensais ne jamais enseigner. Mais la satisfaction de transmettre un savoir et d’être au contact avec les jeunes a pris le dessus. J’ai commencé à temps partiel à la faculté. Le temps plein a ensuite été le résultat d’un choix entre le cabinet et la vie à la fac. Aujourd’hui, je suis MCU-PH en ODF, chef du département ODF de la faculté et coordinatrice régionale du DES ODF.
Comment les mesures sanitaires ont-elles impacté la vie de la faculté ?
Au printemps 2020, tout s’est arrêté à l’exception des urgences. Des cours à distance ont été organisés. Les partiels ont eu lieu à la sortie du confinement. À nouveau, en octobre, les enseignements ont repris à distance. Avec l’autorisation des ministères et sur dérogation du rectorat, nous avons obtenu de tenir les TP à la faculté avec les simulateurs. La jauge à 50 % d’étudiants a été facilement respectée dans les salles, car nous avions déjà fait le choix d’un enseignement par petits groupes avant la Covid.
Un nouveau confinement serait cependant très difficile à gérer, parce qu’il faudrait à nouveau « neutraliser » des cours. L’an dernier, des étudiants sont passés dans l’année supérieure sans avoir reçu certains enseignements qu’ils doivent rattraper cette année. Cela les met déjà en difficulté, surtout en troisième année.
Si, à la différence d’autres disciplines, nos étudiants sont revenus un peu à la faculté et sont présents en clinique, le manque de contact social rend malgré tout cette période difficile. Aussi avons-nous mis en place une commission « bien-être ».
Quel est le rôle de cette commission ?
Elle est composée d’enseignants en dentaire et non dentaire, d’étudiants et de personnels. Le but est d’avoir des personnes sentinelles pour repérer les étudiants qui vont mal. Puis, d’organiser des conférences et de faire intervenir des psychiatres ou des psychologues pour les soutenir.
La forte progression du numerus clausus règle-t-elle le problème démographique ?
Malheureusement non. La seule solution serait d’imposer le lieu d’exercice. Les jeunes restent attirés par les grandes villes et particulièrement celle de leur faculté. Les services d'odontologie délocalisés à Rouen, au Havre et à Boulogne-sur-Mer ont eu un effet positif, mais pas suffisant. Celui du Havre a sans doute permis de stopper la dégringolade des installations, mais on manque de praticiens autour de la ville ! Chaque année, vingt étudiants en provenance de Normandie arrivent en 2e année à Lille. Notre objectif est qu’ils s’installent dans leur région d’origine à la fin de leurs études.
Je précise que si la faculté de Lille est la plus importante en nombre d’étudiants, elle est en revanche la plus petite proportionnellement en termes d’effectifs encadrants, avec 30 MCU-PU titulaires et 30 assistants. C’est le résultat de décisions prises dans le passé, renforcées aujourd’hui par le fait que les ministères font pression pour que l’on forme plus de professionnels de santé à moyens constants. J’ai réussi cette année encore à stabiliser le nombre de nos étudiants malgré la pression à la hausse faite dans le cadre de la réforme du premier cycle.
Comment s’organise la réforme du 1er cycle à Lille ?
Cette année est charnière. Nous devons intégrer les redoublants de l’ancienne PACES. Ils auront un concours différent de celui des étudiants qui sont dans le nouveau système et de ceux qui se préparent dans le cadre du nouveau PASS (parcours d’accès spécifique santé). Ce dernier parcours, accessible à partir d’une première année de licence (L1) non médicale, mais avec une mineure santé, compte 30 % des inscrits. Cette nouvelle voie d’accès a pour objectif de diversifier l’origine des étudiants afin d’éviter l’omniprésence des bacs scientifiques. Les étudiants qui échouent pourront à nouveau tenter leur chance en L2. La difficulté a été d’ouvrir des places en sciences humaines avec une mineure santé au profit d’étudiants dont l’objectif est de changer de voie. Les différents cursus n’ont pas de capacités d’accueil extensibles !
Cette réforme nécessite une réorganisation importante des cours, mais aussi du mode d’admission. Soit les étudiants seront reçus directement, soit ils auront des oraux sous la forme de « mini-entretiens multiples » sur différents thèmes. Ils seront alors jugés sur leur capacité à présenter un sujet à l’oral, à communiquer, à manifester de l’empathie…
Que pensez-vous des projets de réforme du 3e cycle et des spécialités ?
En tant que doyen, j’en pense du bien ! En ce moment, nous travaillons sur la 6e année et sur la façon de transformer ce 3e cycle court en DES (diplôme d’études spécialisées) afin d’aligner nos statuts hospitaliers sur ceux des médecins. Le statut d’assistant hospitalo-universitaire que nous connaissons va disparaître au profit de celui de chef de clinique, comme en médecine. Et il faut pour cela avoir un DES.
S’agissant de nouvelles spécialités comme la parodontie, la pédodontie, l’endodontie… le corps enseignant y est favorable. Les étudiants en revanche sont réticents. Ils craignent que ces disciplines ne soient plus enseignées si l’on crée des DES de spécialité. On donne souvent en exemple l’ODF que certaines facultés n’enseignent plus. Ce n’est pas le cas à Lille. Nous pensons que tous les praticiens doivent pouvoir prendre en charge correctement un patient dans toutes les disciplines et savoir quand adresser.
Comment voyez-vous l’avenir de la spécialité en ODF ?
C’est clair, on manque de spécialistes. Mais cette spécialité devient compliquée à mettre en avant parce que les patients ne font pas la différence entre le spécialiste qui a suivi la voie de l’internat avec trois ans à temps plein et le praticien qui a suivi un enseignement privé pendant quelques week-ends dans une année ! D’ou la difficulté pour motiver des jeunes.
Depuis le passage du Cecsmo (Certificat d’études cliniques spéciales mention orthodontie) à l’internat, il y a eu une chute du nombre des étudiants.
Nous avons 14 internes en ODF, auxquels on ajoute chaque année un interne par la filière européenne. Cette filière permet à des étudiants de passer cet autre concours après un minimum de 3 ans d’exercice en étant inscrit à l’Ordre. On se bat pour augmenter le nombre des internes, mais cela a un coût pour l’État qui n’existait pas du temps du CECSMO. Les vacations cliniques qui n’étaient alors pas rémunérées le sont aujourd’hui.
Vous vous êtes investie dans la pédagogie en tant que vice-doyen depuis 2013. Quelle est votre action ?
Avec mes deux vice-doyens à la pédagogie, nous travaillons à la façon de changer la manière de modéliser notre enseignement pour cibler les compétences. Les étudiants peuvent avoir des connaissances, mais pas forcément des compétences. En d’autres termes, ils ne savent pas toujours appliquer ce qu’ils connaissent. Nous revoyons tout l’enseignement, de la 2e année à la 6e année, en fixant pour chaque année les compétences à acquérir avec les unités d’enseignement à mettre en place, le type d’examen…
Par exemple, en 4e année il faut savoir établir le diagnostic d’un patient dans une situation clinique simple. On demandera donc à l’étudiant de savoir établir une relation de confiance, appliquer ses connaissances, diriger un interrogatoire, conduire un examen, prescrire un examen complémentaire et adopter un raisonnement adapté. Pour prendre le cas de l’orthodontie, en fin d’études, un étudiant de Lille doit savoir repérer une dysmorphose ou une malformation, et s’il doit ou non orienter vers un spécialiste. Cette méthode a aussi l’avantage de permettre à l’étudiant de s’auto-évaluer. La grille prend forme. Nous allons sans doute la mettre en place en commençant par la 2e année.
Où en est le processus de fusion des facultés de santé, l’un des grands dossiers de votre élection ?
Cette fusion des facultés de santé – odontologie, médecine, pharmacie – du sport et de l’ingénierie et management de la santé (Institut lillois d’ingénierie de la santé, Ilis) pour créer l’UEFR 3S est unique en France. Elle résulte de la volonté du président de l’Université, Jean-Christophe Camart. L’objectif est de réduire le nombre de composantes dans l’université pour obtenir le label international I-SITE* (initiatives, sciences, innovation, territoire, économie). Les discussions entre facultés nous ont permis de faire apparaître les nombreux points communs.
Quel est l’avantage pour l’odontologie ? Ne craignez-vous pas qu’elle se perde dans ce grand ensemble ?
L’avantage est de mettre en commun des moyens techniques et administratifs et de mutualiser certains cours avec la pharmacie, la médecine, et le sport. La crainte de voir l’odontologie disparaître a sans doute freiné l’essor du processus au départ. Mais la question était soit d’être intégrée dans cette grande filière 3S, soit d’être marginalisée. Avec 750 étudiants, nous restons une petite composante par rapport aux 2 300 de l’Ilis, aux 2 500 de pharmacie, sans compter les médecins ! C’est aux personnes à la tête de chaque structure de défendre leur discipline.
Quelles sont les satisfactions d’un doyen ?
Sentir que les étudiants sont bien dans leur fac et ont envie de travailler et de même pour le personnel administratif ; observer qu’une fois partis, les étudiants ont envie de revenir pour se former ; et voir les réformes progresser.
Quand on est à la tête de la fac, même avec une bonne équipe, on se sent parfois seul. On me l’avait dit. Et je le constate. Et puis, ce sont malheureusement toujours les problèmes qui remontent. Par exemple, à la commission « bien-être », on n’entend pas parler de ce qui va bien ! Je demande aux étudiants de savoir aussi faire remonter les points positifs. Nous en avons besoin pour avancer !
* « I-SITE » est un label d’université d’excellence auquel est attaché un programme d’investissement. Labellisé I-SITE en février 2017, le projet d’Université Lille Nord-Europe (ULNE) a pour objectif la création d’une grande université internationale, classée parmi les 50 premières en Europe avant 10 ans. Le projet est structuré autour de trois thématiques de recherche interconnectées couvrant un spectre disciplinaire large : Santé, Planète et Monde numérique. L’internationalisation, l’innovation pédagogique et la valorisation sont également au coeur de ses priorités
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