Par Thierry Soulié, président #CDF MAG 1912 du 19 novembre 2020
Que nous reproche-t-elle ? D’avoir alerté avant les autres sur certaines pratiques que nous pensons à risque, ce qui s’est hélas vérifié par la suite ? D’avoir défendu la liberté des patients de choisir en toute connaissance de cause leur traitement et leur praticien ? D’avoir dénoncé des pratiques anticoncurrentielles sur lesquelles l’Autorité de la Concurrence n’a jamais voulu investiguer et qu’elle a balayé d’un trait de plume malgré la plainte déposée et les preuves apportées (*) ? D’avoir relayé la position de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), qui estime que : « dans le secteur dentaire, les écarts de prix semblent globalement plus modestes (…) L’action des réseaux est entravée par l’absence de référentiels. Quant à la qualité finale, il est très difficile de porter un jugement sur l’impact des réseaux, faute d’indicateur fiable(**)» ?
Cette condamnation est aussi injuste qu’injustifiée, ce d’autant plus que nous n’avons jamais enfreint la loi en appelant au boycott ! Au contraire, nous pensons qu’il est de notre rôle et même de notre devoir de dénoncer la marchandisation des soins et d’alerter les pouvoirs publics, les patients et les praticiens sur les risques de dérives en matière de qualité de traitements.
Dans un pays où la liberté est inscrite sur le fronton de nos institutions, l’Autorité de la Concurrence bafoue ce droit constitutionnel en empêchant un corps intermédiaire de tenir son rôle de lanceur d’alerte et en réduisant sa liberté d’expression à la portion congrue. En agissant ainsi, en s’autosaisissant de ce dossier, l’Autorité se comporte en « juge et partie » et bâillonne le syndicat le plus influent de la profession. En infligeant une sanction financière disproportionnée (***), d’une ampleur liée à la surface financière des CDF, elle met en danger une institution dont la politique a toujours été de défendre l’accès aux soins des patients. Se rend-elle compte que par sa décision elle fait le lit de mouvements spontannés et incontrôlables qui fragilisent nos démocraties ?
Dans cette période de crise sanitaire, politique, morale, sociale et alors même qu’on demande à nos concitoyens de faire confiance à leurs soignants, cette condamnation est un très mauvais signe. À l’heure où les usagers sont liés à leurs contrats complémentaires choisis par leur employeur, l’Autorité de la Concurrence les prive d’une liberté fondamentale : celle de choisir objectivement par qui ils veulent être soignés et comment.
Si la liberté de parole et d’action a encore un sens dans ce pays, les CDF doivent être en mesure de tenir ce rôle essentiel d’intermédiaire entre le pouvoir et leurs mandants. Forts de cette légitimité institutionnelle et animés par un sentiment d’injustice, ils formeront donc un recours contre cette décision devant la Cour d’appel de Paris. Et comme ils l’ont toujours fait, dans la légalité républicaine, ils poursuivront leur mission et continueront à dire ce qu’ils ont à dire en toute indépendance et en toute franchise, dans l’intérêt de la démocratie, de la santé publique, des patients et de celles et ceux qui les soignent.
(*) Décision 16-D-23 du 24 octobre 2016 de l'Autorité de la Concurrence téléchargeable ici. Arrêt du 1er février 2018 de la Cour d'appel de Paris : irrecevabilité - rejet téléchargeable ici
(**) Rapport 2016-107R consultable sur ce lien.
(***) 680 000€.