Science, conscience, territoires

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26 septembre 2018
L’avenant n°6 de la Convention des médecins est entré en application le 15 septembre 2018. La télémédecine est désormais une réalité et la téléconsultation (cotation/code TC) peut remplacer la consultation (C), du généraliste, du spécialiste. Nous suivrons à distance. La Convention des chirurgiens-dentistes prévoit (1) un groupe de travail qui étudiera « les conditions de mise en place de téléconsultation de dépistage auprès de personnes en situation de dépendance ». Le débat éthique, qui a agité les instances professionnelles des médecins, n’a que très peu effleuré les chirurgiens-dentistes. Pour une raison simple : au-delà du dépistage, on a – encore ? – du mal à imaginer un traitement (technique) bucco-dentaire à distance, alors que la téléconsultation du médecin lui permettrait de poser un diagnostic et de prescrire un traitement, même en psychiatrie ! Insistons un peu sur ce dernier cas. Il ne s’agit pas de télésurveillance, ni...

L’avenant n°6 de la Convention des médecins est entré en application le 15 septembre 2018. La télémédecine est désormais une réalité et la téléconsultation (cotation/code TC) peut remplacer la consultation (C), du généraliste, du spécialiste. Nous suivrons à distance. La Convention des chirurgiens-dentistes prévoit (1) un groupe de travail qui étudiera « les conditions de mise en place de téléconsultation de dépistage auprès de personnes en situation de dépendance ». Telemedecine

Le débat éthique, qui a agité les instances professionnelles des médecins, n’a que très peu effleuré les chirurgiens-dentistes. Pour une raison simple : au-delà du dépistage, on a – encore ? – du mal à imaginer un traitement (technique) bucco-dentaire à distance, alors que la téléconsultation du médecin lui permettrait de poser un diagnostic et de prescrire un traitement, même en psychiatrie ! Insistons un peu sur ce dernier cas. Il ne s’agit pas de télésurveillance, ni de téléassistance, mais bel et bien d’une TC honorée 39 euros et où l’écran remplace le divan. Les réflexions sur l’amputation de la relation médicale ou l’absence du corps « puisque c’est lui qui parle » (2) ont été balayées. Certains patients seraient même « plus détendus » derrière un écran, non stressés par le déplacement ou l’attente de la consultation. Adolescents et enfants se sentiraient protégés par cet écran auquel ils sont si familiers. Mais pour les décideurs publics, la téléconsultation offre, avant tout, une réponse au manque cruel de médecins, notamment dans certaines spécialités. Le plan Santé 2022 a confirmé ce pragmatisme en une formule d’un paradoxe osé : « Déploiement de la télémédecine par un accompagnement territorial. » Osé, simplement parce que cette télémédecine va consacrer définitivement et irrémédiablement les ruptures territoriales et leur isolement ! Plutôt que d’assurer les moyens d’un retour de la médecine auprès de la population, ou d’un ré-ancrage des territoires par une médecine de proximité, la téléconsultation – mais non la télé-expertise – « homologue » la distance qui éloigne irrévocablement le soignant du soigné. On peut réfléchir sur les conséquences possibles d’une telle évolution dans les matières classiques de l’encadrement légal de la médecine : la responsabilité, l’information, le consentement, etc. Mais le débat est totalement faussé par les enjeux matériels, économiques. Face aux réponses traditionnelles de l’humanisme médical, où la science est indissociable de la conscience altruiste, les enjeux matériels et éthiques sont allègrement mélangés par les décideurs qui veulent réduire le débat à de simples divergences générationnelles. Lorsque la rencontre sans contact transforme l’altérité en étrangeté, la consultation 2.0 mettra à distance le corps soigné, le chosifiant un peu ou davantage. Avec l’empreinte à distance, l’extraction/implantation assistée par robot, etc., la science est au service du « patient ». Mais comment solliciter la conscience qui protège l’autre, lorsque la virtualité et l’éloignement physique le maintiennent dans un statut d’inconnu, vaguement semblable ? Les doutes sont permis. Parce que le métier de soigner repose sur cette rencontre physique, corporelle, où celui qui consulte n’est pas seulement un ensemble de symptômes et où celui qui soigne est beaucoup plus sophistiqué qu’un complexe d’algorithmes. Marc SABEK Vice-président  

  1. Article 12.2, in fine
  2. A. Lécu, Le Secret médical, vie et mort, Les Éditions du Cerf, Paris, 2016.