Au premier jour, il y a la loi HPST (hôpital, patients, santé, territoires), du 21 juillet 2009 qui visait, entre autres, « l’amélioration de l’accès aux soins » et une réorganisation territoriale du système de santé. Parmi les conséquences catastrophiques de cette « ambition », figurent les scandales de sinistre mémoire : Dentexia, Addentis, DentalAccess, Proxidentaire...
Les vocations philanthropes pullulent
Cette loi, qui a « fait sauter » le contrôle préalable pour toute installation d’un centre de santé, a généré l’implosion des « vocations sociales et philanthropes », avec des associations non lucratives... devenues très vite lucratives. Dès 2010/11, les centres dentaires associatifs poussent comme des champignons avec des promoteurs de tous horizons : des prothésistes à la retraite (Dental Access en Loir-et-Cher), des émigrés turcs (Centre dentaire Nogent/Oise) ou un employé de maintenance, un plombier, des fournisseurs de produits dentaires et des dirigeants de sociétés commerciales, etc. Certains praticiens sont également « touchés par cet élan en faveur des plus modestes », des associations sont donc « montées » par des chirurgiens-dentistes avec des objectifs clairement commerciaux, voire mercantiles, objectifs qu’ils ne pouvaient appliquer dans leurs cabinets libéraux où leur exercice est soumis aux règles déontologiques. L’association Addentis, spécialisée dans la création de centres dentaires dits associatifs, en ouvre plusieurs entre 2009 et 2010, en banlieue parisienne et lance une campagne de publicité agressive... La presse écrite, puis audiovisuelle se font l'écho de cette « entreprise qui démocratise les soins dentaires ».
Des financiers s’invitent chez des exploitants sans vergogne
Addentis convainc même le capitalisme financier d’investir dans le low-cost dentaire ! Séduite par les activités florissantes de la société Efficentres qui se sert de l'association comme écran, la société d’investissement Turenne Capital apporte 820 000 € à son capital. Puis les montages financiers s’affinent et les sociétés commerciales lucratives se « planquent » de mieux en mieux derrière une association écran. Les CDF réussissent néanmoins à dénoncer les dirigeants tapis dans l’ombre qui profitent de ce montage illégal(1). Mais les exploitants de la santé des plus démunis n’ont jamais froid aux yeux. Ainsi Dentexia, à l’origine d’un des plus gros scandales sanitaires, n’hésite pas à pratiquer l’intimidation outrancière et poursuit même le Président du conseil national de l’Ordre pour « diffamation publique ». Pourquoi ? Parce que le responsable ordinal avait osé, avant même l’éclatement du scandale qui coûtera des millions d’euros aux contribuables, mettre en garde contre les dérives dont il avait eu connaissance. La cour d’appel de Paris (5 octobre 2016) avait débouté le dirigeant de Dentexia, mais pendant un temps, le délinquant poursuivait l’homme en charge de l’éthique !
La supercherie essuie ses premiers revers
Progressivement, la presse d’investigation a découvert le pot aux roses. « Dentiste low-cost : vraie arnaque ou bonne affaire ? »s’est demandé Le Point du 1er mars 2012. « Une mine d’or dans la mâchoire des pauvres » avait répondu Le Canard Enchainé, le 7mars 2012 : « Au lieu de soigner des caries pour quelques dizaines d’euros pièce, Patrice de Poncins préfère assurer l’avenir et poser des prothèses au tarif CMU... Elles lui seront payées entre 230 et 650 euros par la Sécu. » S’enchaînent alors VSD le 6 mai 2013, puis un reportage de « Spécial Investigation » le même mois, tous dénonçant les pratiques déviantes des centres : « Sur une patiente, examinée par un chirurgien-dentiste libéral, celui-ci préconise le soin de deux caries et la surveillance d’une dent. Le coût du traitement est de 144,60 €, détartrage compris. Sur la même patiente, une des dentistes du centre préconise un plan comprenant quatre couronnes inutiles, pour une facture de 2 732,36 € ! ».
Les juges tâtonnent
Dès 2010, Les CDF (CNSD à l’époque) et le Conseil national de l'Ordre saisissent la justice pour violation du code de déontologie qui interdit la publicité. Le tribunal d’instance de Paris leur donne raison le 11 septembre 2013 et condamne Addentis pour concurrence déloyale. Mais le 18 février 2016, la cour d’appel de Paris revient sur ce jugement estimant que l’association ne peut « être soumise au Code de déontologie des chirurgiens-dentistes ». Toutefois, la Cour s’interroge sur « la réelle vocation sociale des centres de santé créés par l’association » puisqu’il n’a pas échappé aux magistrats « l’existence de liens très étroits entre les membres fondateurs de l’association » et les sociétés à qui « d’importants dividendes des différents centres de l’association puissent être reversés sous forme d’honoraires ou de facturations ». Évidemment, Les CDF et l’Ordre se pourvoient en cassation. Le 26 avril 2017, la Cour cingle littéralement les low-cost et pose le principe d’une interdiction de la publicité sur les prestations dentaires par les centres de santé. La ministre de la Santé intègre alors le résultat judiciaire de notre action dans l’ordonnance du 12 janvier 2018 (n° 2018-17) qui inscrit cette interdiction dans la loi.
La règle conforme à la constitution
Mais après la cassation, l’affaire qui oppose les CDF, l’Ordre et Addentis devait de nouveau être jugée. La cour d’appel de Paris décidait, le 21 juillet 2021, qu’en se livrant à la publicité : « L’association Addentis a créé de manière déloyale une distorsion de concurrence entre ses dentistes salariés - directs bénéficiaires pour ceux rémunérés au pourcentage des actes réalisés - et les praticiens exerçant à titre libéral ». La cour a estimé que l’association avait ainsi « jeté le discrédit sur l’exercice libéral de la profession de chirurgien-dentiste en fustigeant de manière globale au moyen de comparaisons non circonstanciées mais ciblées, un défaut d’organisation du travail, un temps de travail consacré à chaque patient mal maîtrisé et la pratique de prix prohibitifs... ». Tout aurait pu s’arrêter là !
Épilogue
Mais Addentis s’est à nouveau pourvu en cassation. Elle a ensuite déposé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) critiquant l’interdiction de publicité pour les centres alors qu’elle était désormais permise pour les libéraux. Mais le 3 juin 2022, les juges constitutionnels ont rappelé le rôle imparti par la loi aux centres de santé (soins de premier recours) et précisé que « l’interdiction [aux centres de santé] de faire de la publicité n’est ni contraire au principe d’égalité, ni à la liberté d’entreprendre, ni à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit ». Suivant cette réponse, la Cour de cassation a rendu, le 8 mars 2023, l’ultime arrêt où elle souligne que l’association Addentis « bien qu’autorisée à pratiquer des soins de second recours, ne pouvait, sans commettre de concurrence déloyale, recourir délibérément à une publicité à caractère commercial centrée sur ces actes et constituant la partie la plus rémunératrice de la pratique dentaire ». Plus de 12 ans après les faits, la plus Haute cour judiciaire en France consacrait ainsi la victoire des CDF, de l’Ordre et de l’éthique médicale.
Scandales sanitaires etinertie administrative
Depuis les premières dérives, Les CDF ont demandé à l’État le retour à l’autorisation administrative préalable à l’ouverture. Nombreuses publications, éditoriaux ou articles en témoignent dans le CDF Mag et à chaque occasion législative, Les CDF ont présenté des amendements. Ils n’ont pas obtenu le soutien du pouvoir politique « dont les motivations sociales sont alors apparues équivoques(2) ». La confédération prévient aussi du risque de récidive des catastrophes sanitaires et reprend à son compte les conclusions de l’IGAS de juillet 2016(3) et de janvier 2017(4), qui soulignent « la nécessité de définir rapidement des critères de vigilance pour activer des contrôles ciblés ». Mais l’avertissement sévère contenu dans ces rapports reste lettre morte... Les pouvoirs publics, avec une pure naïveté coupable, refusent toujours un contrôle par les Agences régionales de santé (ARS), alors même que les scandales se multipliaient ! Mais le bout du tunnel est en vue ! Une proposition de loi déposée en 2022 par Fadila Khattabi est actuellement débattue par le Parlement avec de grandes chances d’aboutir. Elle rétablira l’autorisation préalable et renforcera le contrôle des centres par les ARS.
Marc Sabek, 1er vice-président
1. Low-cost et justice - L’écran publicitaire, Le Chirurgien-Dentiste de Francen°1699 du 10 mars 2016).
2. CDF Mag n° 1697-1698 du 25 février - 3 mars 2016.
3. Enquête sur le scandale Dentexia.
4. Le fonctionnement des centres dentaires low-cost.