Grammaire, histoire et... un peu de calcul

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23 octobre 2019
« Nous sommes en train de réinventer la grammaire du dialogue social... », a déclaré Emmanuel Macron, jeudi 3 octobre 2019, à Rodez (Aveyron).

Marc SabekLe président de la République expose ainsi la philosophie du gouvernement, dans sa réforme des retraites et même au-delà : « Nous sommes passés d’un mécanisme d’assurance à un mécanisme de solidarité […] parce qu’on a dit que c’était l’impôt qui allait payer et non plus la cotisation... Il faut mettre les partenaires sociaux au bon endroit ».

On ne peut pas souscrire ! La Protection sociale en France n'a jamais été assurantielle ! Bien au contraire, dès sa naissance, elle a été ancrée dans une vision totalement solidaire. L'exposé des motifs de l'Ordonnance du 4 octobre 1945 est éloquent : « la Sécurité sociale est la garantie donnée à chacun qu’en toutes circonstances il disposera des moyens nécessaires... Trouvant sa justification dans un souci élémentaire de justice sociale... Envisagée sous cet angle, la Sécurité sociale appelle l’aménagement d’une vaste organisation nationale d’entraide obligatoire... »

Et l'entreprise de solidarité nationale a toujours impliqué les acteurs sociaux, non par un « mécanisme d'assurance », mais pour lui conférer une « chair républicaine », associant les représentants des acteurs économiques, producteurs effectifs de la richesse nationale qui finance l’oeuvre de solidarité.

L'entreprise de solidarité nationale a toujours impliqué les acteurs sociaux

On peut réinventer la grammaire, mais on ne réécrit pas l'histoire. Les déficits financiers des comptes sociaux sont nés, non d'une gestion approximative par les partenaires sociaux, mais bien de choix politiques incohérents, détruisant des millions d'emplois et installant un chômage endémique, étonnamment plus grave et plus persistant que dans n'importe quel autre pays développé.

L'histoire récente nous apprend d'ailleurs ce que la réécriture « de la grammaire sociale » peut viser. La réforme constitutionnelle de 1995-1996, qui a remplacé les partenaires sociaux par une étatisation de l'Assurance maladie, prétendait, elle aussi, « mettre les partenaires sociaux au bon endroit ». Sans évoquer ses conséquences catastrophiques sur l'accès aux soins ou à l'hôpital public, l'une des évolutions « majeures » de cette réforme a confié au Parlement le vote annuel d'une loi de financement de la sécurité sociale (LFSS).

Vingt-cinq ans après, les rapports de la Cour des comptes en témoignent, on attend toujours que l'étatisation apporte la transparence des comptes et la responsabilisation des acteurs. Voeu pieux ! Encore cette année, le projet de LFSS « organise d’importants transferts financiers de la Sécurité sociale vers l’État... une perte supérieure à 4 milliards d’euros en 2019 pour la sphère sociale »(1). Quand le gouvernement ponctionne délibérément dans les recettes de la Sécurité sociale (2), on comprend mieux qui est le premier responsable des 5 milliards d’euros de déficit prévus pour 2019 et pourquoi il est indispensable de remettre les partenaires sociaux « au bon endroit » !

L'État peut ainsi, sans corps intermédiaires et sans contestataires, perpétuer sa « politique des caisses vides »(3). Sauf si la contestation revient dans la rue ! éditorial

Marc SABEK vice-président

 

1. Solveig Godeluck : « Sécurité sociale : les transferts financiers du gouvernement font tousser la majorité », Les Échos, n° du 11 et 12 octobre 2019 . 2. Ibid. 3. Sabina Issehane, « Le « trou de la Sécu », un mythe orchestré », Politis, N°1572 - du 10 au 16 octobre 2019.